L'histoire:
Envisager de raconter un roman de Fred Vargas frise le ridicule, aussi se contentera-t-on de dire qu’ici, comme dans Sous les
vents de Neptune, Adamsberg est confronté à des résurgences de son passé qui le déstabilisent fortement. L’enquête qu’il mène sur la mort de deux gars qui se sont fait trancher la gorge à la
Porte de la Chapelle le remet en présence d’Ariane Lagarde, la médecin légiste à laquelle il s’était opposé quelque vingt-cinq ans auparavant. Un de ses nouveaux collaborateurs ne semble pas
particulièrement l’apprécier, ce qui le perturbe d’autant plus que ce lieutenant Veyrenc de Bilhc est béarnais comme lui, originaire du village voisin du sien.
Enfin Camille, dont il a eu un fils, qu’il garde régulièrement, semble voguer vers de nouvelles amours et s’être affranchie
de leur liaison passionnelle pour glisser vers des relations amicales, qui ne lui conviennent absolument pas…
Mes impressions de lecture:
Saviez-vous qu'il y a un os dans le coeur d'un cerf? C'est déconcertant, n'est-ce pas? Déconcertant et très joli.
C'est à l'image de ce roman : déconcertant et plein de poésie. On y parle de passé et d'avenir, de pays et de rancune,
d'enfants et de vieillards.
Ce qui est très fort avec cette auteure, c'est qu'il y a des incohérences, des choses pas très vraisemblables, mais
nécessaires au fil narrative. Une chercheuse comme elle doit s'en rendre compte. Mais l'auteure s'en fout. Parce que l'histoire est comme ça, parce qu'elle a envie de la faire exister ainsi.
Parce que ce n'est qu'une histoire et que le plus important n'est pas que ce soit vraisemblable mais qu'on ait envie que ça le soit.
Et s'il y a un personnage de roman que j'aimerais rencontrer un jour, c'est assurément Adamsberg . Et puis Danglard. Et
Violette, Estalère et tous les autres.
Lire un Fred Vargas c'est faire exister un monde qu'elle a inventé. Un monde chaleureux où on prend RDV avec le printemps, où
chaque troquet a ses régles de bienséance, où on s'en fout d'avoir le dernier sac à main à la mode. Un monde qu'on a du mal à quitter en tournant la dernière page ...
"Ca me gratte sur mon bras manquant, 69 ans plus tard. A un endroit bien précis, toujours le même, dit le
vieux en désignant un point dans le vide. Ma mère savait pourquoi : c'est la piqûre de l'araignée. Quand mon bras est parti, je n'avais pas fini de la gratter. Alors elle me démange
toujours."
"Estalère parlait souvent du commissaire en disant "Il". "Il", "Lui", Jean-Baptiste Adamsberg, le dieu
vivant de la brigade.
[...]
- Fais comme tu l'entends. Cherche-lui son caillou jusqu'ai bout du monde, mais ne me dmande pas de te
suivre ne rampant sous les tables.
Retancourt surprit une révolte inattendue dans les yeux du brigadier.
- Je chercherai ce caillou, dit le jeune homme en se levant maladroitement. Et pas parce que toute la
Brigade me prend pour un ahuri, toi comme les autres. Mais pas Lui. Lui regarde, Lui sait. Lui cherche.
Estalère reprit son souffle.
-Il cherche un caillou, dit Retancourt.
- Parce qu'il y a des trucs dans les cailloux, il y a des couleurs, il y a des dessins, il y a des petites
histoires. Et tu ne les vois pas, Violette, et tu ne vois rien."
"Son esprit déstructuré lui évoquait une carte muette, un magma où rien ne parvenait à s'isoler, à
s'identifier comme Idée. Tout paraissait toujours pouvoir se raccorder à tout, par des petits sentiers de travers où s'enchevêtraient des bruits, des mots, des odeurs, des éclats, souvenirs,
images, échos, grains de poussière. Et c'est avec cela seulement qu'il devait, lui, Adamsberg, diriger les vingt-sept agents de sa Brigade et obtenir, selon le terme récurrent du divisionnaire
des Résultats."