L'histoire (d'après l'éditeur):
Je m'appelle Brodeck et je n'y suis pour rien. Je tiens à le dire. Il faut que tout le monde le sache.
Moi ne n'ai rien fait, et lorsque j'ai su ce qui venait de se passer, j'aurais aimé ne jamais en parler, ligoter ma
mémoire, la tenir bien serrée dans ses liens de façon à ce qu'elle demeure tranquille comme une fouine dans une nasse de fer.
Mais les autres m'ont forcé : "Toi, tu sais écrire, m'ont-ils dit, tu as fait des études". J'ai répondu que c'étaient de
toutes petites études, des études même pas terminées d'ailleurs, et qui ne m'ont pas laissé un grand souvenir. Ils n'ont rien voulu savoir : "Tu sais écrire, tu sais les mots, et comment on les
utilise, et comment aussi ils peuvent dire les choses. Ca suffira. Nous on ne sait pas faire cela. On s'embrouillerait, mais toi, tu diras, et alors ils te croiront".
Mes impressions de lecture:
J'ai fini ce livre il y a un bon moment mais j'ai eu du mal à me poser pour écrire cette chronique :manque de temps (ce cher marathon 13490 des évaluations CM2 et un petit ennui physique qu m'a mise HS) et du mal à trouver les mots.
Je me retrouve un peu comme après avoir lu "les âmes grises". Un roman fort, qui a happée, subjuguée, troublée. Des personnages tellement uniques mais qui pourraient apparaitre au coin de la rue tant cette histoire est intemporelle. Et ce village qui tait, étouffe, exclut, hait, renie, ne se pardonne quu'à lu-même. Ce village a existé de tous temps au coin de la rue. Encore plus près même comme nous l'a raconté Jean Teulé dans "Mangez-le si vous voulez".
Chacun lira dans ce livre ce qu'il voudra et il y a des milliers de choses à en dire. Moi j'ai surtout vu Brodeck qui étouffe sous ses remords alors que dans toute cette horreur, le seul mal qu'il ait jamais fait c'est d'essayer de survivre. Mais il porte le poids de ne pas avoir agi et je crois qu'il porte le poids d'une non assistance encore plus lourde. Mais ça je n'ai pas envie d'en parler.
Et j'ai entendu sa voix qui justifie à elle des siècles de discours sur le devoir de mémoire;
"Je m'appelle Brodeck, et je n'y suis pour rien.
Brodeck c'est mon nom.
Brodeck.
De grâce, souvenez-vous.
Brodeck."
Citations:
"Prenez-les, me dit-il, c'est juste à votre taille. ils étaient à mon fils, mais il ne reviendra plus. C'est sans doute
mieux comme ça."
Il me sembla soudain que le sac que je venais de saisir était d'un poids considérable. Le vieil homme me tendit la main.
"Bonne route Brodeck."
Pour la première fois sa voix tremblait. Je saisis sa main , une main sèche et froide, à la peau tavelée qui se frippa dans ma paume. Elle tremblait elle aussi.
"S'il vous plait, ajouta-t-il, pardonnez-leur...", et sa voix mourut dans ce murmure.
Elle était de nouveau entrée dans le camp, pensant en ressortir bien vite. Sans doute ne savait-elle pas que lorsqu'on a quitté les Enfers, il ne faut jamais s'en retourner vers eux. Mais, au fond, mourir d'ignorance ou mourir sous les pas de milliers d'hommes redevenus libres, il n'y au vrai aucune espèce de différence. On ferme les yeux et puis il n'y a plus rien. Et la mort n'est jamais difficile. Elle ne réclame ni héros ni esclave. Elle mange ce qu'on lui donne.
C'est tellement étrange une vie d'homme. Une fois qu'on y est précipité, on se demande souvent ce qu'on y fait. C'est
peut-être pour cela que certains, un peu plus malins que d'autres, se contentent de pousser seulement un peu la porte, jettent un oeil et, apercevant ce qu'il y a derrière se prennent du désir de
la refermer au plus vite.